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CONTES DROLATIQUES.

servaige et de l’amour, Anseau fondit tout son or en une couronne royalle, en laquelle il esmailla les perles et diamans que il avoyt à luy, puis vint secrettement la remettre à la Royne, en luy disant : — Madame, ie ne sçays en quelle foy mettre ma fortune que vécy. Demain, tout ce qui se treuvera dans mon logiz sera la chevance des damnez moynes qui n’ont point eu pitié de moy. Doncques daignez me guarder cecy. Ce est ung foible merciement de la ioye que par vous i’ay eue de veoir celle que i’ayme, veu que nulle somme ne vault ung de ses resguards. Ie ne sçays ce qui adviendra de moy. Mais, si ung iour mes enfans estoyent delivrez, i’ay foy en vostre generosité de royne.

— Bien dict, bon homme, feit le Roy. L’abbaye aura quelque iour besoing de mon ayde, et ie ne perdray point le soubvenir de cecy.

Il y eut ung monde exorbitant en l’abbaye pour les espousailles de Tiennette, à laquelle la Royne donna en présent des vestemens de nopces et à qui le Roy bailla licence de porter tous les iours des annels d’or en ses aureilles. Quand vint le ioly couple de l’abbaye au logiz d’Anseau, qui serf estoyt devenu, prouche Sainct-Leu, il y eut des flambeaux aux fenestres pour le veoir passer, et dans la rue, deux hayes comme à une entrée royalle. Le paouvre mary s’estoyt forgié ung collier d’argent qu’il avoyt en son bras senestre en foy de son appartenance à l’abbaye Sainct-Germain. Ains, maulgré son servaige, luy crioyt-on : Noël ! Noël ! comme à ung nouveau roy. Et le bon homme saluoyt trez-bien, heureulx comme ung amoureulx et trez-ioyeulx des hommaiges que ung chascun rendoyt à la graace et modestie de Tiennette. Puis treuva le bon Tourangeau des rameaux verds et des bluets en couronne en sa potence, et les principaulx du quartier estoyent là tous, qui, par grant honneur, lui feirent des musicques et luy crièrent : « Vous serez tousiours ung noble homme maulgré l’abbaye ! » Comptez que les deux espoux s’escrimèrent à en rendre l’ame, et que le bourgeoys deut poulser de fiers coups en l’escu de sa mye, qui, en bonne pucelle de campaigne, estoyt de nature à les luy rendre, et ils vesquirent bien ung mois entier, allaigres comme des columbes qui au prime temps massonnent leur nid brin à brin. Tiennette estoyt toute aise de son beau logiz et des praticques qui venoyent et s’en alloyent esmerveillées d’elle. Ce mois de fleurs passé, vint ung iour en grant pompe le bon vieil abbé Hugon, leur seigneur et