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PERSEVERANCE D’AMOUR.

maistre, lequel entra dans sa maison, qui lors n’estoyt plus à l’orphebvre, ains au Chapitre ; puys, là, dit aux deux espoux : « Mes enfans, vous estes libres, francs et quittes de tout. Et ie doibs vous dire que, de prime abord, ay grantement esté féru de l’amour qui vous ioingnoyt l’ung à l’aultre. Aussy, les droicts de l’abbaye recogneus, estoys-je, à part moy, deliberé vous faire une ioye entière, après avoir esprouvé vostre leaulté en la coupelle de Dieu. Et ceste manumission ne vous coustera rien. » Ayant dict, il leur bailla ung bon petit coup de main en la ioue et ils tombèrent à ses genoilz en plourant de ioye pour raisons valables. Le Tourangeau apprint à ceulx du quartier, qui s’amassoyent en la rue, la largesse et bénédiction du bon abbé Hugon. Puis, en grant honneur, maistre Anseau luy tint la bride de sa iument, iusques en la porte de Bussy. Durant ce voyaige, l’orphebvre, qui avoyt prins ung sac d’argent, en gectoyt les pièces aux paouvres et souffreteux criant : « Largesse ! largesse à Dieu ! Dieu saulve et guarde l’abbé ! Vive le bon seigneur Hugon ! » Puis, de retour en sa maison, resgualla ses amys et feit des nopces nouvelles qui durèrent une pleine sepmaine. Cuidez que l’abbé feut bien reprouché de sa clémence par son Chapitre, qui ouvroyt ià la gueule pour digérer ceste bonne proye. Aussy, ung an après ce, le bon homme Hugon estant malade, son prieur luy disoyt-il que ce estoyt une punition du Ciel de ce qu’il avoyt caïné les sacrez interests du Chapitre et de Dieu. — Si i’ay bien iugé de cet homme, feit l’abbé, il aura souvenir de ce que il nous doibt.

De faict, ce iour estant par adventure l’anniversaire de cettuy mariaige, ung moyne vint annoncer que l’orphebvre supplioyt son bienfaicteur de le recepvoir. Lors il apparut en la salle où estoyt l’abbé, auquel il despouilla deux chaasses merveilleuses que depuis ce temps nul ouvrier n’a surpassées en aulcun lieu du monde chrestien, et qui, pour ce, feurent dictes le vœu de la perseverance d’amour. Ces deux threzors sont, comme ung chascun sçayt, placez au maistre autel de l’ecclise, et sont estimez estre d’ung travail inestimable, veu que l’orphebvre y avoyt despendu tout son bien. Néantmoins cet ouvraige, loin d’amenuiser son escarcelle, la remplit à pleins bords, pour ce que si bien creust son renom et ses proufficts, que il dut achepter la noblesse, force terres, et ha fondé la maison des Anseau, qui depuys feut en grant honneur dans la gente Touraine.

Cecy nous endoctrine à tousiours recourir aux saincts et à