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SUR LE MOYNE AMADOR.

fort aux dames, qui l’embucquoyent de vins, pastisseries et plats choisis en leurs disners, soupers et gaudisseries desquelles elles le convioyent, pour ce que chaque hoste ayme ces bons convives de Dieu, à maschoires blanches, qui disent autant de paroles que ils tordent de morceaulx. Ce dict abbé estoyt ung pernicieux compère qui soubz le frocq couloyt aux dames force contes ioyeulx auxquels elles ne refrongnoyent qu’après les avoir entendus, veu que, pour iuger, besoing est de ouyr les chouses.

— Mon révérend père, feit le Roy, vécy l’heure brune en laquelle les aureilles féminines peuvent estre resgallées de aulcune plaisante adventure, veu que les dames rient sans rougir ou rougissent en riant, à leur aise. Faictes-nous ung bon conte, ie dis ung conte de moyne. Ie l’ouyray, par ma foy, voulentiers, pour ce que ie vouldroys me divertir et aussy les dames.

— Nous nous soubmettons à ce, en veue de complaire à vostre Seigneurie, feit la Royne, pour ce que le sieur abbé va loing ung peu.

— Doncques, respondit le Roy, se virant devers le moyne, lisez-nous quelque admonition chrestienne, mon père, pour amuser Madame.

— Sire, i’ay la veue foible, et le iour chet.

— Faictes doncques ung conte qui s’arreste en la ceincteure.

— Ha ! Sire, feit le moyne en soubriant, cettuy dont ie suis record s’arreste là, mais en partant des pieds.

Les seigneurs présens feirent des remonstrances et supplications à la Royne et aux dames si guallantement, que, en bonne Bretonne que elle estoyt, elle gecta ung soubris de graace au moyne.

— Allez vostre train, mon père, feit-elle, vous respondrez de nos péchez à Dieu.

— Voulentiers, madame ; si vostre bon plaisir est de prendre les miens, vous y gaignerez !

Chascun de rire, et la Royne aussy. Le Roy vint auprès de sa