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CONTES DROLATIQUES.

les gorets pour lesquels de bonnes platées de trippes avoyent esté mises soubz le lict, à ceste fin de les empeschier de se faire moynes, ce dont ils avoyent envie, en les en desgoustant au moyen du libera que leur chanteroyt le moyne. Puis comptez que en chaque mouvement du paouvre Amador, qui avoyt crins coupez ez toiles, il debvoyt faire cheoir de l’eaue froide en son lict, et mille aultres maulvaisetez desquelles sont coustumiers les gausseurs en les chasteaulx. Vécy ung chascun couchié, attendant le sabbat du moyne, certain que il ne leur fauldroyt point, veu que le dict moyne avoyt esté logié soubz les toicts en hault d’une tourelle dont l’huys d’en bas feut soingneusement commis à la guarde des chiens qui heurloyent après ce dict moyne. A ceste fin de vérifier en quel languaige se feroyt l’entretien du moyne avecques les chats et les gorets, le sire vint couchier avecques sa mye la Perrotte, qui estoyt voisine. Alors que il se veit ainsy traicté, bon Amador tira de son sac ung coultel et se desverouilla dextrement.

Puis se mit en guette pour estudier le train du chasteau, et ouyt le sire de léans se couler en riant avecques sa meschine. Ores, soupçonnant leurs beaudouineries, il attendit l’instant où la dame du logiz seroyt seulette en ses toiles, et devalla dedans la chambre d’icelle, pieds nus, à ceste fin que ses sandales ne feussent point en ses secrets. Il luy apparut, à la lueur de la lampe, en la manière dont apparoissent les moynes en la nuict, qui est ung estat mirificque, difficile à soustenir longtemps chez les laïques, veu que ce est ung effect du froc, lequel magnifie tout. Puis, luy ayant laissé veoir que il estoyt bien moyne, luy tint doulcement ce languaige :

— Ores ça, madame, que Dieu saulve, sçaichez que ie suis envoyé par Iésus et la Vierge Marie pour vous advertir de mettre fin aux trez-immundes perversitez qui se parfont au dommaige de vostre vertu, laquelle est traistreusement frustrée de ce que vostre mary ha de meilleur et dont il gratifie votre meschine. A quoy bon estre dame, si les redevances seigneuriales s’engrangent ailleurs ? A ce compte, vostre meschine est la dame, et vous estes la meschine. Ne vous est-il point deu tous les plaisirs perceus par ceste meschine ? Aussy bien les treuverez-vous amassez en nostre Ecclise, qui est la consolation des affligez. Voyez en moy le messaigier prest à payer ces debtes, si vous n’y renoncez point.