Page:Balzac - Contes drolatiques.djvu/521

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
493
BERTHE LA REPENTIE.

exprès de Dieu, qui se gausse de nous, d’avoir mis tant de perfections chez ung homme si mal houzé ? Ce seigneur s’estant faict sexagenaire de tout poinct, encores que il n’eust que cinquante ans d’aage, se résolut à s’enchargier d’une femme, à ceste fin d’en avoir lignée. Lors, en s’enquestant de l’endroict où se pouvoyt treuver ung moule à sa convenance, entendit vanter les grans mérites et perfections d’une fille de l’inclyte famille de Rohan, qui lors tenoyt des fiefs en ceste province, laquelle damoiselle estoyt dicte Berthe en son petit nom. Imbert, estant venu la veoir au chasteau de Montbazon, feut, par la ioliesse et la vertu trez-innocente de ceste dicte Berthe de Rohan, coëffé d’ung tel dezir d’en iouyr, que il se delibéra de la prendre pour espouse, cuydant que iamais fille de si hault lignaige ne fauldroyt à son debvoir. Ce mariaige se feit tost, pour ce que le sire de Rohan avoyt sept filles et ne sçavoyt comment les pourvoir toutes, par ung temps où ung chascun se refaisoyt des guerres et raccommodoyt ses affaires guastées. De faict, le bon homme Bastarnay treuva, pour prime heur, Berthe réallement pucelle, ce qui tesmoingnoyt de sa bonne nourriture et d’ung parfaict castoyement maternel. Aussy, dès la nuictée où il lui feut loysible de l’accoller, l’enchargia-t-il d’ung enfant si rudement, que il en eut preuve suffisante à l’eschéance du deuxiesme mois des nopces, ce dont feut trez-ioyeulx le sire Imbert. A ceste fin d’en finer sur ce prime poinct de l’adventure, disons cy que de ceste graine légitime nacquit le sire de Bastarnay, qui feut duc par la graace du Roy Loys le unziesme, son chamberlan, de plus son ambassadeur ez pays d’Europe, et bien aymé de ce trez-redoubté seigneur, auquel il ne faillit oncques. Ceste léaulté luy feut ung héritaige de son père, lequel de trez-matin s’estoyt affectionné de monseigneur le Daulphin, duquel il suyvit toutes les fortunes, voire mesme les rebellions, veu que il en estoyt amy à remettre le Christ en croix, s’il en avoyt esté par luy requis ; fleur d’amitiez trez-rare à l’entour des princes et grans. En prime abord se comporta si léaulment la gentille dame de Bastarnay, que sa compaignie feit esvanouyr les vapeurs espaisses et nuées noires qui conchioyent en l’esperit du bon homme les clairetez de la gloire femelle. Ores, suyvant l’us des mescréans, il passa de deffiance en fiance si esraument, que il quitta le gouvernement de sa maison à la dicte Berthe, la feit maistresse de ses faicts et gestes, souveraine de toutes chouses, royne de son honneur, guardienne de ses cheveulx blancs, et auroyt desconfict sans conteste ung qui