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BERTHE LA REPENTIE.

ung poisson, naïfve comme son petit, ce neantmoins de grant sens, de parfaict entendement, et tant, que iamais il ne faisoyt aulcune emprinse sans requerir ung advis d’elle, veu que, si l’esperit de ces anges ne ha point esté destourbé de ses clairetez, il donne ung son franc, en toute rencontre, si on l’en requiert. En ce temps la dicte Berthe vivoyt près la ville de Losches, dedans le chastel de son seigneur, et y demouroyt sans nul soulcy de cognoistre aultre affaire que les chouses de son mesnaige à la méthode anticque des preudes femmes, dont feurent desvoyées les dames de France alors que vint la royne Catherine et les Italians, grans donneurs de festoyemens. À ce prestèrent les mains le roy Françoys premier du nom et ses successeurs, dont les baudouineries perdirent l’Estat de France autant que les maulvaisetez de ceux de la Religion. Cecy n’est poinct mon faict. Devers ce temps, le sire et la dame de Bastarnay feurent conviez par le Roy de venir en sa ville de Losches, où pour le présent il estoyt avec la Court, en laquelle esclattoyt le bruit de la beaulté de la dame Bastarnay. Doncques Berthe vint à Losches, y receut force laudatifves gentillesses du Roy, feut le centre des hommaiges de tout ieunes sires, qui se repaissoyent par les yeulx de ceste pomme d’amour, et des vieulx, qui se reschauffoyent à ce soleil. Ains comptez que tous, vieulx et ieunes, eussent souffert mille morts pour user de ces beaulx outils à faire la ioye qui esblouissoyent la veue et brouilloyent la cervelle. Il estoyt parlé de Berthe en Loschois plus au long que de Dieu en l’Évangile, ce dont enraigèrent ung nombre infiny de dames qui ne se treuvèrent pas si abundamment fournies de chouses plaisantes, et, pour dix nuictées à donner au plus laid seigneur, eussent voulu renvoyer en son chastel ceste belle cueilleuse de soubrires. Une ieune dame, ayant trez-apertement veu que ung sien ami s’affolloyt de Berthe, en conceut tel despit, que de ce vindrent les meschiefs de la dame de Bastarnay ; mais aussy de là vint son heur et la descouverte des pays caressans de l’amour dont elle estoyt ignorante. Ceste maulvaise dame avoyt ung parent, lequel de prime abord luy confia, à la veue de Berthe, que pour iouyr d’elle il feroyt l’accord de mourir après ung mois passé à s’en gaudir. Notez que ce cousin estoyt beau comme une fille est belle, n’avoyt nul poil au menton, eust gaigné son pardon d’ung ennemy à luy crier mercy, tant mélodieuse estoyt sa voix ieune, et avoyt d’aage vingt ans à poine.