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CONTES DRÔLATIQUES.

— Quittons le chant, repartit Berthe, il me faict tout esmeue. Venez à la croisée, nous laborerons de menus ouvraiges iusques à la vesprée.

— Ha ! chière cousine de mon ame, ie ne sçays point tenir l’esguille en mes doigts, ayant eu pour ma perdition coustume de faire aultre chouse d’iceulx.

— Hé ! quelle occupation aviez-vous doncques tout le long du iour ?

— Ha ! ie me laissoys aller au courant de l’amour, qui faict que les iours sont des instans, que les mois sont des iours et les ans sont des mois ; et, s’il duroyt, feroyt gobber l’éternité comme une fraize, veu que tout en est frescheur et perfum, doulceur et ioye infinie.

Puis, le bon compaignon abattit ses belles paupières sur ses yeulx, et demoura mélancholieux comme une paouvre dame abandonnée de son guallant et qui le ploure, et le vouldroyt tenir, et luy pardonneroyt ses traistrises, s’il avoyt le cueur de chercher la doulce voye de son bercail iadis aymé.

— Cousine, l’amour esclot-il en estat de mariaige ?

— Oh ! non, feit Sylvie, pour ce que en estat de mariaige tout est debvoir, ains en amour tout est faict en liberté de cueur. Ceste diversité communicque ie ne sçays quel baulme souef aux caresses qui sont les fleurs de l’amour.

— Cousine, laissons ce devis ; il est de pire mouvance que ne estoyt la musicque.

Elle siffla vifvement ung serviteur, luy commanda d’amener son fils, qui vint, et, le voyant, Sylvie de s’esclamer :

— Ha ! il est beau comme l’Amour !

Puis le baisa bien au front.

— Viens, mon enfant mignon, dit la mère, au giron de laquelle se gecta le petit. Viens, toy, le plaisir de ta mère, tout son heur sans meslange, sa liesse de toute heure, sa couronne, son ioyau, sa perle pure, son ame blanche, son threzor, sa lumière du soir et du matin, sa flamme unicque au cueur. Donne tes mains, que ie les mange ; donne tes aureilles, que ie les morde ung petit ; donne ta teste, que ie baise tes cheveulx. Sois heureux, petite fleur de moy, si tu veulx que ie sois heureuse.

— Ha ! cousine, feit Sylvie, vous luy parlez en languaige d’amour.

— L’Amour est doncques une enfance ?