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CONTES DROLATIQUES.

pénitence envers les hommes et Dieu, avoyt esté soy mettre en religion en abandonnant sa belle vie de chevalier, laissant finer son nom, ce qui certes estoyt pire que la mort ; comment elle, en vengeant son honneur, avoyt songié que Dieu mesme n’auroyt reffusé ung iour par an à ce moyne pour veoir ce fils auquel il sacrifioyt tout ; comment, ne voulant vivre avecques ung meurdrier, elle quittoyt sa maison en y laissant ses biens ; puis que, si l’honneur des Bastarnay se treuvoyt maculé, ce estoyt luy, non elle, qui faisoyt la honte, pour ce que en cettuy meschief elle avoyt accommodé les chouses au mieulx ; finablement, adiouxta le vœu d’aller par monts et par vaulx, elle et son fils, iusques à ce que tout feust expié, veu que elle sçavoyt comment expier le tout.

Ayant dit noblement et d’un visaige pasle ces belles paroles, elle print son enfant par la main et yssit en grant deuil, plus magnificquement belle que ne feut la damoiselle Agar à sa despartie de chez le patriarche Abraham, et si fière, que tous les gens de la maison se genoillèrent à son passaige en l’implourant à mains ioinctes comme Nostre-Dame de la Riche. Ce feut pitoyable de veoir aller quinauld à sa suite le sieur de Bastarnay plourant, recognoissant sa coulpe et désespéré comme ung homme conduict en l’eschaffaud pour y estre deffaict.

Berthe ne voulut entendre rien. La désolation estoyt si grant, que elle treuva la herse baissée et hasta le pas pour yssir du chastel, en redoubtant que elle ne feut soubdain levée ; ains nul n’avoyt ne raison ne cueur. Berthe s’assit à la margelle des douves, en veue de tout le chastel, qui la prioyt avecques larmes y demourer. Le paouvre sire estoyt debout, la main sur la chaisne de sa herse, muet comme ung des saincts de pierre engravez au dessus du porche ; il veit Berthe commander à son fils de secouer la pouldre de sa chaussure sur la voye du pont, à ceste fin de ne rien avoir aux Bastarnay, et elle feit pareillement. Puis monstra du doigt à son fils le sire, par un geste grave, et luy tint ce languaige :

— Enfant, vécy le meurdrier de ton père, lequel estoyt, comme tu sçays, le paouvre prieur ; ains tu has prins le nom de cet homme. Ores doncques tu verras à le luy rendre, de mesmes que tu laisses cy la poudre prinse avecques tes soliers en son chastel. Pour ce qui est de ta nourriture en sa maison, nous solderons aussy le compte, Dieu aydant.