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LE VIEULX-PAR-CHEMINS.

ques saiges ont menée iadis. Finablement, le Vieulx-par-chemins advint en l’aage de quatre-vingt et deux années, n’ayant iamais esté ung seul iour sans attraper monnoye, et avoyt lors la plus belle couleur de tainct que vous puissiez imaginer. Aussy cuydoyt-il que, s’il avoyt perseveré dedans la voye des richesses, il se feust guasté et seroyt lors enterré depuis ung long temps. Possible estoyt qu’il eust raison.

Durant sa prime ieunesse, le Vieulx-par-chemins avoyt pour inclyte vertu de trez fort aymer les femmes, et son abundance d’amour estoyt, dict-on, ung fruit de ses estudes avecques les moyneaulx ou fricquets. Doncques il estoyt tousiours dispos à prester aux femmes son ayde pour compter les solives, et ceste générosité treuve sa raison physicale en ce que, ne faisant rien, il estoyt tousiours prest à faire. Les buandières, qui dans ce pays sont nommées lavandières, disoyent que elles avoyent beau savonner les dames, le Vieulx-par-chemins s’y entendoyt encores mieulx. Ses vertus absconses engendrèrent, dict-on, ceste faveur dont il iouyssoyt en la province. Aulcuns disent que la dame de Caumont le feit venir en son chasteau pour sçavoir la vérité sur ces qualitez et le mussa durant une huictaine, à ceste fin de l’empeschier de gueuzer, ains le bon homme se saulva par les hayes en grant paour d’estre riche. En advançant en aage, ce grant quintessencier se veit desdaingné, quoique ses notables facultez d’aymer n’esprouvassent aucun dommaige. Cet iniuste revirement de la gent femelle causa la prime poine du Vieulx-par-chemins et le célèbre procez de Rouen auquel il est temps d’arriver.

En ceste quatre-vingt-deuxiesme année, le Vieulx-par-chemins feut par force en continence environ sept mois, durant lesquels il ne feit la rencontre d’aulcune femme de bon vouloir et dit devant le iuge que ce feut le plus grant estonnement de sa longue et honorable vie. En cet estat trez-douloureux, il veit ez champs, au ioly moys de may, une fille, laquelle par adventure estoyt pucelle et guardoyt les vaches. La chaleur tomboyt si drue, que ceste vaschiere s’estendit à l’umbre d’ung fousteau, le visaige contre l’herbe, à la fasson des gens qui laborent ez champs pour faire ung somme durant le temps que son bestial ruminoyt et se resveigla par le faict du vieulx, qui luy avoyt robbé ce que