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LA BELLE IMPÉRIA MARIÉE.

pour ce que ung chascun feut aise de luy veoir reprendre sa belle vie d’amour. Ung cardinal angloys, qui avoyt humé plus d’ung pot ventru et vouloyt taster de la belle Impéria, vint à l’Isle-Adam, et luy dit à l’aureille : « Quenouillez-la dru, à ceste fin que oncques elle ne nous eschappe. » L’histoire de ceste nuictée feut dicte au Pape à son lever, lequel respondit : Lætamini, gentes, quoniam surrexit Dominus. Citation que les vieulx cardinaux abominèrent comme profanation des textes sacrez. Ce que voyant, le Pape les rabbroua moult et print occasion de les semondre en leur disant que, s’ils estoyent bons chrestiens, ils estoyent maulvais politicques. De faict, il comptoyt sur la belle Impéria pour apprivoiser l’Empereur, et dans ceste vizée il la seringuoyt de flatteries.

Le palais estainct, les flacons d’or à terre, les gens yvres sommeillant au rez des tapis, Madame rentra dedans la salle où elle couchioyt, en tenant par la main son chier amy esleu, bien aise et advouant du depuys que elle eut phantaisie si roide, que elle avoyt failly se couchier à terre comme beste de somme, en luy disant de l’escraser, si faire se pouvoyt. L’Isle-Adam deffeit ses vestemens et se couchia comme chez luy ; ce que voyant, Madame saulta l’estrade en piaffant sur ses iuppes à peine deffaictes, et vint au déduict avecques une brutalité de laquelle s’estomirèrent ses femmes, qui la sçavoyent autant preude femme au lict que pas une. Cet estonnement gaigna tout le pays, veu que les deux amans demourèrent dedans ce lict durant neuf iours, beuvant, mangiant et faisant cricquon cricquette d’une fasson magistrale et superlatifve. Madame disoyt à ses femmes avoir mis la main sur ung phenice d’amour, veu que il renaissoyt à tous coups. Il ne feut bruit dedans Rome et l’Italie que de ceste victoire remportée sur Impéria, qui se iactoyt de ne le céder à aulcun homme, et crachioyt sur tous, voire sur les ducs : car pour ce qui est des dessusdicts burgraves et margraves, elle leur bailloyt la queue de sa robbe à tenir, et disoyt que, si elle ne marchioyt sur eulx, ils marcheroyent sur elle. Madame advouoyt à ses meschines que, au rebours des aultres hommes que elle avoyt supportez, tant plus elle mignottoyt cettuy enfant d’amour, tant plus elle souloyt le mignotter, et ne sçauroyt oncques se passer de luy, ne de ses beaulx yeulx qui l’aveugloyent, ne de sa branche de corail de laquelle avoyt tousiours faim et soif. Elle dit encores que s’il avoyt tel dezir, elle luy lairroyt sugcer son sang, man-