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LE PÉCHÉ VÉNIEL.

chez véniels, pour ce que ie dormoys, toi, tu en as faict de mortels ?

— Ha ! madame, feit-il, où doncques Dieu boutera-t-il tous ses damnez, si cela est pécher ?

Blanche s’esclata de rire, et le baisa au front.

— Tais-toy, meschant, il s’en va du paradiz, et besoing est que nous y vivions de compaignie, si tu veulx estre avecques moy tousiours.

— Oh ! i’ay mon paradiz ici.

— Laissez cela, dit-elle. Vous estes ung mescréant, ung maulvais qui ne songez point à ce que i’aime : c’est vous ! Tu ne sçays pas que i’ay ung enfant, et que, dans peu, il ne se celera pas plus que mon nez. Ores, que dira l’abbé ? Que dira monseigneur ? Il peut te deffaire, s’il vient à se cholérer. M’est advis, petit, que tu ailles à l’abbé de Marmoustiers pour luy advouer tes péchez, en lui donnant mandat de veoir ce qui est séant de faire à l'encontre de mon senneschal.

— Las ! dit le rusé paige, si ie vends le secret de nos ioyes, il mettra l’interdict sur nostre amour.

— En dà ! feit-elle ; oui ! Mais ton heur en l’autre monde est ung bien qui m’est si prétieulx !

— Le voulez-vous doncques, ma mye ?

— Oui, respondit-elle ung peu foible.

— Eh bien, i’iray ; mais dormez encores, que ie luy dise adieu !

Et le gentil couple récita des litanies d’adieux, comme s’ils eussent, l’ung et l’autre, préveu que leur amour debvoyt finir en son apvril. Puis, le lendemain, plus pour saulver sa chière dame que pour soy, et aussi pour obéir à elle, René de Iallanges se desporta vers le grant moustier.

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