Page:Balzac Histoire des oeuvres 1879.djvu/81

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s’enfuit dans le fourré avec Félix ; le mari court après eux, si bien qu’il gagne à ce métier une espèce de fluxion de poitrine. Félix va chercher à Tours M. le docteur Origet. Origet arrive sans lancette ; Félix retourne à Azay, par un temps affreux, chercher la lancette de M. Deslandes. On saigne le malade, on l’entoure de soins, on ne le quitte ni jour ni nuit, ce qui fait naître les réflexions suivantes dans l’esprit de Félix : « Pour qui contemple en grand la nature, tout y tend à l’homogénéité par l’assimilation. » Ces deux mois de la maladie de M. de Mortsauf furent les plus heureux de la vie de Félix. « Henriette et moi, dit-il, nous nous trouvâmes apprivoisés, mariés à demi. » Mariés à la bonne heure ; quant à être apprivoisés, il me semble que l’un et l’autre étaient assez privés comme cela. C’est ainsi que leur amour résista au laisser voir de toutes les heures.

Tout d’un coup arrive une lettre du roi qui rappelle Félix. « La comtesse eut des gestes d’apathie et des regards sans lueur. — Je me penchai lentement vers son front ; elle ne se baissa pas pour éviter mes lèvres ; je les appuyai saintement, sans volupté chatouilleuse. » M. Félix n’était pas travaillé par des idées folles ce jour-là.

Cependant cette passion de mademoiselle Félix de Vandenesse, qui recommençait le moyen âge et rappelait la chevalerie, cette passion d’un jeune homme qui adorait une belle femme, sans public, se répandit au cœur du faubourg Saint-Germain. Vandenesse trouva donc le monde parfait pour lui. Ce fut, parmi les plus belles femmes de cette époque, à qui se ferait aimer de ce jeune homme, avec ou sans public. Félix plut surtout à une de ces illustres ladies, qui sont à demi souveraines (souveraines de qui ? et de quoi ?). « Vous connaissez la singulière personnalité des Anglais, cette orgueilleuse Manche infranchissable, ce froid canal Saint-George, qu’ils mettent entre eux et les gens qui ne leur sont pas présentés ? Les fortifications d’acier poli élevées autour d’une femme anglaise, engagée dans son ménage par des fils d’or, mais où sa mangeoire et son abreuvoir, où ses bâtons et sa pâture, sont des merveilles, lui prêtent d’irrésistibles attraits ! » Eh bien, cette lady, presque souveraine, à l’aspect de Félix de Vandenesse, elle franchit la Manche de la morale, elle traversa à la nage le froid canal de Saint-George de sa personnalité anglaise, elle quitta sa cage, sa mangeoire, son abreuvoir, son bâton, et autres merveilles ; elle franchit d’un saut ces fortifications d’acier poli, qui préparent si bien l’hypocrisie de la femme mariée ; à la place de sa pâture de chaque jour, elle alla demander à Félix de Vandenesse le poivre et le piment pour la pâture de son cœur. » (Notez bien, madame, que toutes ces citations sont prises, mot à mot, dans le livre de M. de Balzac. Et voilà pourtant à quelles fins la Revue a plaidé avec lui !)

Que vous dirai-je ? Lady Arabelle, marquise Dudley, une fois sortie de sa fortification d’acier poli, ne mit plus de frein à sa passion, aiguisée par la résistance. « L’atonie l’avait conduite à l’adoration du romanesque et du difficile ! » — À la fin, après la plus belle défense, la marquise Dudley prouva à quelques salons que pour elle le difficile n’était pas l’impossible : Félix succomba ; il ne fut plus mademoiselle Félix de Vandenesse. « Je vous ferai remarquer, nous dit-il ingénument, qu’un homme a moins de ressources pour résister à une femme, que vous n’en avez pour