Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/164

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tignac s’était épris de madame de Nucingen, elle lui avait paru svelte, fine comme une hirondelle. L’enivrante douceur de ses yeux, le tissu délicat et soyeux de sa peau sous laquelle il avait cru voir couler le sang, le son enchanteur de sa voix, ses blonds cheveux, il se rappelait tout ; et peut-être la marche, en mettant son sang en mouvement, aidait-elle à cette fascination. L’étudiant frappa rudement à la porte du père Goriot.

— Mon voisin, dit-il, j’ai vu madame Delphine.

— Où ?

— Aux Italiens.

— S’amusait-elle bien ?… Entrez donc.

Et le bonhomme, qui s’était levé en chemise, ouvrit sa porte et se recoucha promptement.

— Parlez-moi donc d’elle, demanda-t-il.

Eugène, qui se trouvait pour la première fois chez le père Goriot, ne fut pas maître d’un mouvement de stupéfaction en voyant le bouge où vivait le père, après avoir admiré la toilette de la fille. La fenêtre était sans rideaux ; le papier de tenture collé sur les murailles s’en détachait en plusieurs endroits par l’effet de l’humidité, et se recroquevillait en laissant apercevoir le plâtre jauni par la fumée. Le bonhomme gisait sur un mauvais lit, n’avait qu’une maigre couverture et un couvre-pied ouaté fait avec les bons morceaux des vieilles robes de madame Vauquer. Le carreau était humide et plein de poussière. En face de la croisée se voyait une de ces vieilles commodes en bois de rose à ventre renflé, qui ont des mains en cuivre tordu en façon de sarments décorés de feuilles ou de fleurs ; un vieux meuble à tablette de bois sur lequel étaient un