Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/243

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— Si cependant Vautrin mourait sans parler ? se disait Rastignac.

Il allait à travers les allées du Luxembourg, comme s’il eût été traqué par une meute de chiens, et il lui semblait en entendre les aboiements.

— Eh bien ! lui cria Bianchon, as-tu lu le Pilote ?

Le Pilote était une feuille radicale dirigée par M. Tissot, et qui donnait pour la province, quelques heures après les journaux du matin, une édition où se trouvaient les nouvelles du jour, qui alors avaient, dans les départements, vingt-quatre heures d’avance sur les autres feuilles.

— Il s’y trouve une fameuse histoire, dit l’interne de l’hôpital Cochin. Le fils Taillefer s’est battu en duel avec le comte Franchessini, de la vieille garde, qui lui a mis deux pouces de fer dans le front. Voilà la petite Victorine un des plus riches partis de Paris. Hein ! si on avait su cela ? Quel trente-et-quarante que la mort ! Est-il vrai que Victorine te regardait d’un bon œil, toi ?

— Tais-toi, Bianchon, je ne l’épouserai jamais. J’aime une délicieuse femme, j’en suis aimé, je…

— Tu dis cela comme si tu te battais les flancs pour ne pas être infidèle. Montre-moi donc une femme qui vaille le sacrifice de la fortune du sieur Taillefer.

— Tous les démons sont donc après moi ? s’écria Rastignac.

— À qui donc en as-tu ? es-tu fou ? Donne-moi donc la main, dit Bianchon, que je te tâte le pouls. Tu as la fièvre.

— Va donc chez la mère Vauquer, lui dit Eugène, ce scélérat de Vautrin vient de tomber comme mort.