Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/307

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l’époque. Les sangsues mises sur le corps appauvri du bonhomme furent accompagnées de cataplasmes, de bains de pieds, de manœuvres médicales pour lesquelles il fallait d’ailleurs la force et le dévouement des deux jeunes gens. Madame de Restaud ne vint pas ; elle envoya chercher sa somme par un commissionnaire.

— Je croyais qu’elle serait venue elle-même. Mais ce n’est pas un mal, elle se serait inquiétée, dit le père en paraissant heureux de cette circonstance.

À sept heures du soir, Thérèse vint apporter une lettre de Delphine :

« Que faites-vous donc, mon ami ? A peine aimée, serais-je déjà négligée ? Vous m’avez montré, dans ces confidences versées de cœur à cœur, une trop belle âme pour n’être pas de ceux qui restent toujours fidèles en voyant combien les sentiments ont de nuances. Comme vous l’avez dit en écoutant la prière de Mosé : « Pour les uns c’est une même note, pour les autres c’est l’infini de la musique ! » Songez que je vous attends ce soir pour aller au bal de madame de Beauséant. Décidément, le contrat de M. d’Ajuda a été signé ce matin à la cour, et la pauvre vicomtesse ne l’a su qu’à deux heures. Tout Paris va se porter chez elle, comme le peuple encombre la Grève quand il doit y avoir une exécution. N’est-ce pas horrible d’aller voir si cette femme cachera sa douleur, si elle saura bien mourir ? Je n’irais certes pas, mon ami, si j’avais été déjà chez elle ; mais elle ne recevra plus sans doute, et tous les efforts que j’ai faits seraient superflus. Ma situation est bien différente de celle des autres. D’ail-