Page:Balzac Le Père Goriot 1910.djvu/313

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ne pouvait lire dans son âme. Vous eussiez dit d’une Niobé de marbre. Son sourire à ses intimes amis fut parfois railleur ; mais elle parut à tous semblable à elle-même, et se montra si bien ce qu’elle était quand le bonheur la parait de ses rayons, que les plus insensibles l’admirèrent, comme les jeunes Romaines applaudissaient le gladiateur qui savait sourire en expirant. Le monde semblait s’être paré pour faire ses adieux à l’une de ses souveraines.

— Je tremblais que vous ne vinssiez pas, dit-elle à Rastignac.

— Madame, répondit-il d’une voix émue en prenant ce mot pour un reproche, je suis venu pour rester le dernier.

— Bien, dit-elle en lui prenant la main. Vous êtes peut-être ici le seul auquel je puisse me fier. Mon ami, aimez une femme que vous puissiez aimer toujours. N’en abandonnez aucune.

Elle prit le bras de Rastignac et le mena sur un canapé, dans le salon où l’on jouait.

— Allez, lui dit-elle, chez le marquis. Jacques, mon valet de chambre, vous y conduira et vous remettra une lettre pour lui. Je lui demande ma correspondance. Il vous la remettra tout entière, j’aime à le croire. Si vous avez mes lettres, montez dans ma chambre. On me préviendra.

Elle se leva pour aller au-devant de la duchesse de Langeais, sa meilleure amie, qui venait aussi. Rastignac partit, fit demander le marquis d’Ajuda à l’hôtel de Rochefide, où il devait passer la soirée, et où il le trouva. Le marquis l’emmena chez lui, remit une boîte à l’étudiant, et lui dit :