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le sang de la coupe

En quittant le rivage aimé des matelots
Où régna Dardanos, où, roulant ses grands flots,
L’Ismare dans la mer jette une onde affligée,
Gagne la mer de Thrace, où le cap de Pangée
À l’ombre des palmiers montre, couvert de lys,
Le mausolée où dort l’amoureuse Phyllis ;
Autour de son tombeau, tu reverras l’enceinte
Où, fatiguant les airs d’une inutile plainte,
Elle appela neuf fois son jeune époux absent.
Sous les arbres en fleur, son spectre pâlissant
Le cherche encor parfois au milieu des arènes
Et revient l’appeler pendant les nuits sereines.

Tu verras l’Achaïe et ses riches cités,
Mycènes la superbe et Phthie aux champs vantés
Que la limpide mer baigne comme une amante.
Dès qu’à tes yeux fuiront les prés de l’Érymanthe,
Sparte t’apparaîtra, Sparte où tendent tes vœux,
Où les vierges, mes sœurs, dénouant leurs cheveux,
Aux bords de l’Eurotas cueillent le laurier-rose.
C’est là qu’abandonnée à des chagrins sans cause,
Hélène, les cheveux épars sur son sein nu,
Attend sans le savoir son amant inconnu,
Et, dans ses longues nuits aux souffrances sans trêves,
Étreint de ses deux bras les fantômes des rêves.


Avril 1846.