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LES EXILÉS

Où brillent sur le blanc tapis jonché de branches
Des flaques de sang rose et des carcasses blanches.
Donc le petit enfant Éros fut apporté
Dans cette forêt, où, de spectres escorté,
Le meurtre au front joyeux par les espaces vides
Court, teignant dans le sang mille gueules avides,
Où la nature vierge, ivre de son pouvoir,
Sachant bien que les Dieux ne peuvent pas la voir,
Heurte ses ouragans, ses ondes, ses tonnerres,
Brise les rocs, meurtrit les arbres centenaires,
Déchaîne, groupe fou vers le mal entraîné,
Ses forces qu’elle emporte en un vol effréné
Et que jamais les lois célestes ne modèrent.
Quand il fut là, les grands lions le regardèrent.
Puis vinrent les bœufs blancs bossus, les loups aux dents
D’ivoire, le chacal, le tigre aux yeux ardents,
Les léopards, les lynx, les onces, les panthères,
Les sangliers, les doux éléphants solitaires,
L’hyène ; puis, sortis des arbres à leur tour,
Les oiseaux, l’aigle altier, le milan, le vautour
Cachant dans un lambeau souillé son bec infâme,
Les condors dont le vol est comme un jet de flamme,
Les rapides faucons, l’épervier qui sait voir
L’infini, le corbeau capuchonné de noir
Dont l’aile suit d’en haut les guerres infertiles,
Et les paons somptueux qui mangent des reptiles ;
Puis les serpents aux plis hideux ; et tous, formant
Un cercle, regardaient le pauvre être charmant