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LES EXILÉS

Sans défense, et déjà savouraient avec joie
La douceur de meurtrir cette facile proie.
Mais tout à coup, lancé d’en haut par l’arc vermeil
D’Apollon, un trait d’or, un rayon de soleil
Enflamma les cheveux d’Éros, sa lèvre rose,
Son front pur, sa narine où le désir repose,
Et, miracle ! sur son doux visage, le Dieu,
Le meurtrier parut, et, sur sa bouche au feu
Céleste et dans ses yeux brûlants qui nous attirent,
Ce que Zeus avait vu, ces animaux le virent.
Ils se dirent alors dans leur langage obscur :
Pourquoi tuer ce prince, échappé de l’azur ?
Regardez sa prunelle aventureuse, où nage
Dans la poussière d’or l’appétit du carnage,
Et ce sourire fait de miel et de poison,
Où déjà les baisers menteurs, la trahison,
Le meurtre, le courroux, les embûches, la ruse
Naissent, et cet attrait de l’enfance confuse
Dont sa mère a paré l’éternel ennemi !
Qui mieux que cet enfant né dans les cieux, parmi
Les éblouissements formidables des astres,
Sèmera sur ses pas la haine et les désastres,
Accablera de maux sans fin l’homme odieux
Et saura nous venger de la race des Dieux ?
Puisqu’il doit, ce fléau de la faiblesse humaine,
Prospérer pour le crime et grandir pour la haine,
Ne le déchirons pas ! qu’il vive parmi nous
Dans la grande forêt des vautours et des loups,