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LES EXILÉS


Non, tu plaignais les noirs sanglots, les funérailles
Des êtres pour lesquels le pain est toujours cher ;
Et la Faim, qui déchire et qui tord leurs entrailles,
Plantait en même temps ses ongles dans ta chair.

Mais tu chantas surtout la fatigue essuyée
Par ton frère au front noir, le rude paysan,
Et souvent, t’enfuyant de la ville ennuyée,
Tu disais à l’oisif, au riche : Viens-nous-en !

Alors tu l’emmenais dans la grande nature
Qui se livre éperdue au soleil, ce doreur,
Et là, tu lui montrais, dans l’atmosphère pure,
Le saint, le glorieux travail du laboureur.

Suivant toujours la terre à ses pieds disparue,
Marchant et poursuivant son but essentiel,
Il tient les oreillons de l’austère charrue
Et travaille, applaudi par les oiseaux du ciel !

Puis il sème le grain avec un geste auguste,
Et plus tard, quand flamboie et brûle Messidor,
Sous les rayons de feu courbant son flanc robuste,
De sa faucille ardente il coupe les blés d’or !

Il est pauvre, il n’a pas son chêne ou son érable.
Il est en butte aux maux obstinés et troublants,
Et quand l’âge a neigé sur son front vénérable,
Il lutte et peine encor sous ses longs cheveux blancs !