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LES EXILÉS


Ô femme ! en ton églogue avec amour écrite
Jasent le ruisseau clair et le vent querelleur,
Et dans tes prés, pareils à ceux de Théocrite,
Le gai chevreau lascif mord le cytise en fleur ;

Et tandis que murmure une plainte étouffée,
Dans le doux flot d’argent frais et délicieux,
Passe, la jambe nue, une petite fée
Riante et folle, avec ses cheveux dans ses yeux.

La belle Poésie est comme la lumière :
Elle aime à déployer la pourpre sous nos pas.
Donc, toi qui te donnais même à l’humble chaumière,
Poète au cœur divin, ne nous dédaigne pas !

Car nous sommes tous là pour payer notre dette,
Peuple ému qui jadis de ton front s’envola :
Ton Rémy, Bois-Doré, la petite Fadette,
Les Villemer, Edmée et maître Favilla,

Et le Champi, qui songe auprès de Madeleine ;
Frissonnants et pensifs, nous tous qui t’adorons,
Comme si le zéphyr à la tremblante haleine
Nous touchait de son aile et courait sur nos fronts.

Mais c’est toi qu’on entend parler par notre bouche !
Ton œuvre, harmonieuse et fière comme un lys,
Donne un parfum suave à tout ce qui la touche,
Et tu ne voudras pas abandonner tes fils !