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Troisième Douzaine



25. — EUGÈNE DELACROIX

La force, la dédaigneuse tranquillité, le calme du lion, se lisent sur cette tête osseuse, vigoureusement modelée, dont le nez est carré et droit, dont les sourcils sombres, épais, soyeux, les yeux enfoncés et profonds, sont pleins de nuit, tandis que sur le front, plutôt large qu’élevé, éclate la lumière. La chevelure, lourde, épaisse et presque sauvage, — brune, longue, relevée sur le front, est celle des hommes de 1830, car les lutteurs de cet âge épique n’avaient pas inventé d’être faibles et chauves ; il semblait que le génie, comme un puissant élixir, eût versé dans leur sang une âpre et durable jeunesse. Cette bouche avancée, longue, à lèvres minces, dont les coins baissent un peu, elle est immobile, mais on sent comme facilement elle s’indignerait si elle ne s’était pas étudiée à se contenir devant l’éternelle Sottise et devant l’incurable Injustice. La moustache qui la surmonte, taillée comme celle d’un serrurier ou d’un tambour de la garde nationale, est d’abord incompréhen-