Page:Banville - La Lanterne magique, 1883.djvu/70

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rien joue du couteau, monsieur Adolphe a promis à ses collègues, monsieur Alexandre et monsieur Eugène, de la leur montrer soumise, réduite, souple comme un gant.

En effet, ces artistes sont réunis chez leur doyen, et fument, en buvant de l’eau-de-vie. D’ordinaire correct, vêtu comme un gentleman, et coiffé des chapeaux anglais les plus irréprochables, monsieur Adolphe, pour cette solennité, a symboliquement repris le costume pittoresque et la mythique casquette à pont, comme un dignitaire qui, pour quelque circonstance importante, revêt l’uniforme officiel. De la main, il fait signe que le moment est venu, et, tirant de sa poche un sifflet d’argent, il appelle Mariette.

La grande fille paraît, humble, les yeux baissés, avec toute l’attitude d’un être prêt à obéir.

— « Baisez le maître ! » dit monsieur Adolphe.

Aussitôt Mariette s’agenouille et humblement baise la main du charmeur, qui ensuite s’amuse à lui empoigner et à lui secouer les dents, comme celles d’un chien familier.

— « Et maintenant, dit-il, à cette niche ! »

Docilement Mariette va se coucher sur un mince tapis jeté derrière une malle, dans le coin de la chambre, et là elle reste immobile, retenant son souffle.

— « Fichtre ! murmure monsieur Adolphe, pâle d’admiration, vous n’êtes pas manchot !

— Oui, dit monsieur Adolphe, tranquille, avec l’impérieuse conscience de son génie, — on sait se faire aimer ! »