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XLIII. — ARTSA

Le souper tire à sa fin. Le banquier Zipper, le poète Charleuf, le grand fondateur de journaux Michenon, le marquis d’Avelle qui vient de se marier, et le riche plumassier Bariol, son beau-père, sont ivres et loquaces comme des grives dans une vigne. La grande Aurélie laisse pendre sa chevelure, la mince Josèphe en robe rouge, mange une rose, et on voit le jeune sein de Nini Plumet à travers sa robe entr’ouverte. La flamme des candélabres, les argenteries, le champagne dans les cruches de cristal ont aussi l’air d’être ivres, et dans les vases les grandes pivoines saignent comme des têtes coupées. La causerie bruyante et absurde se mêle au bruit des baisers, et par un horrible prodige, le compositeur Girolet, assis au piano, tresse et mêle ensemble du Sébastien Bach et du Charles Lecocq, au moyen de transitions follement ingénieuses. Tout à coup, sous ses doigts fébriles, une corde de l’instrument se casse, il se fait un silence et on entend Michenon dire à Zipper d’une voix indignée :

— « Non, ce n’est pas le juif Izebel qui a commandité mon journal nouveau : La Paix définitive, et je ne permettrai jamais qu’on dise des choses pareilles. Moi, demander de l’argent à une race qui a vendu le bon Dieu !