Page:Banville - Les Parisiennes de Paris.djvu/14

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de votre Élodie ont eu une expression que ni Mars ni Dorval n’auraient pu jouer. Ils disaient clairement, éloquemment : N’est-ce donc pas ainsi ? Mais enfin, que pouvez-vous en conclure ? Ce pauvre Luxeuil était un très-terrestre colonel de carabiniers, et les trois enfants qu’il a laissés à sa femme se portent bien.

— Ah ! répondit le blond et doux poëte Émile de Nanteuil, il ne faut pas vouloir tout expliquer ! Si madame de Luxeuil jouait cette comédie-là, elle serait la plus cynique des créatures et elle ne nous occuperait pas ainsi tous. Pourquoi ne pas admettre le surnaturel, toujours bien plus facile à comprendre que ce que nous voyons dans la vie ?

— Et, fit à son tour le journaliste Simonet, pourquoi ne pas admettre aussi que Célimène a fait des progrès depuis le grand siècle ? Vous savez que les anges, s’ils ne donnent rien, veulent être adorés à toute force. Une bonne fois, trois des lévites ont poussé à bout votre Élodie immatérielle, et lui ont demandé en face des explications. Devinez ce qu’elle a répondu ? Vous allez me dire si l’autre Célimène peut bien se pendre ! Elle a embrassé dans un même regard ses trois amoureux, et d’une voix émue, attendrie, désespérée comme la lyre, elle a crié ces mots sublimes : Ah ! vous ne m’aimez pas ! Tout haut, notez bien cela, et personne n’a bougé, ce qui paraît être le comble de l’art.

— Oui, reprit Rosier, qu’on se promène vers le soir sur le lac d’Enghien ou sur le lac de Côme, on la rencontre toujours échevelée à la brise, dans de petits bateaux ! Preuve certaine qu’elle a trop lu Lamartine et qu’elle veut accaparer cette corde-là. Cette jeune et jolie veuve a compris tout bonnement qu’à Paris les affaires d’argent et les affaires d’amour nous laissent une affreuse