Page:Barbara - L’Assassinat du Pont-Rouge, 1859.djvu/140

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cacher un et d’en mettre la perte sur le compte d’une erreur ou d’un accident. Cette seule idée m’étranglait. Ma conscience de Code pénal gardait mieux les billets que n’eût fait une escouade d’agents de police ; mais, en revanche, que de fois je me suis dit : « Ah ! quand donc me sera-t-il donné de pouvoir impunément violer la loi ? quand donc pourrai-je, à la barbe de leurs bourreaux et de leur Dieu, commettre ce qu’ils appellent un crime ? » Je ne devais être que trop bien entendu.

« Novembre allait venir. Chez Thillard, une catastrophe était imminente. Pour le caissier, la position n’était plus tenable. Il voulut parler à l’agent de change qui le renvoya brutalement à ses livres. Le 30 arriva. Je compris, à l’air du vieux Frédéric, que le moment était venu. Au lieu de nous payer, selon qu’il avait coutume, la veille du premier, il nous pria d’attendre jusqu’au lendemain. Un coup de foudre m’eût moins cruellement ébranlé. Il ne s’agissait sans doute que d’un délai ; mais ce délai était pour nous la mort, puisque, faute d’argent, nous n’avions rien pris de tout le jour.

« Au dehors, le temps était en harmonie avec les lugubres pensées qui me comblaient. L’atmosphère était obscurcie d’un brouillard à ce point intense, surtout aux abords de la Seine, que, par ordre de police, en vue de prévenir les accidents, outre une chaîne de lampions semés au coin des rues, sur les