Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/132

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cevait que trop du sentiment que sa mère avait pour moi. Je ne sais quel poète a demandé ce que pensent de nous les filles dont nous avons aimé les mères. Question profonde ! que je me suis souvent faite quand je surprenais le regard d’espion, noir et menaçant, embusqué sur moi, du fond des grands yeux sombres de cette fillette. Cette enfant, d’une réserve farouche, qui le plus souvent quittait le salon quand je venais et qui se mettait le plus loin possible de moi quand elle était obligée d’y rester, avait pour ma personne une horreur presque convulsive… qu’elle cherchait à cacher en elle, mais qui, plus forte qu’elle, la trahissait… Cela se révélait dans d’imperceptibles détails, mais dont pas un ne m’échappait. La marquise, qui n’était pourtant pas une observatrice, me disait sans cesse : « Il faut prendre garde, mon ami. Je crois ma fille jalouse de vous… »

« J’y prenais garde beaucoup plus qu’elle.

« Cette petite aurait été le diable en personne, je l’aurais bien défiée de lire dans mon jeu… Mais le jeu de sa mère était transparent. Tout se voyait dans le miroir pourpre de ce visage, si souvent troublé ! À l’espèce de haine de la fille, je ne pouvais m’empêcher de penser qu’elle avait surpris le secret de sa mère à quelque émotion exprimée, dans quel-