Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/136

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heureusement un impie, — me disait la marquise. — Un jour, en causant, vous l’aurez peut-être scandalisée. Faites attention à tout ce que vous dites devant elle, je vous en supplie. N’aggravez pas mes torts aux yeux de cet enfant envers qui je me sens déjà si coupable ! » Puis, comme la conduite de cette petite ne changeait point, ne se modifiait point : « Vous finirez par la haïr, — ajoutait la marquise inquiète, — et je ne pourrai pas vous en vouloir. » Mais elle se trompait : je n’étais qu’indifférent pour cette maussade fillette, quand elle ne m’impatientait pas.

« J’avais mis entre nous la politesse qu’on a entre grandes personnes, et entre grandes personnes qui ne s’aiment point. Je la traitais avec cérémonie, l’appelant gros comme le bras : « Mademoiselle », et elle me renvoyait un « Monsieur » glacial. Elle ne voulait rien faire devant moi qui pût la mettre, je ne dis pas en valeur, mais seulement en dehors d’elle-même… Jamais sa mère ne put la décider à me montrer un de ses dessins, ni à jouer devant moi un air de piano. Quand je l’y surprenais, étudiant avec beaucoup d’ardeur et d’attention, elle s’arrêtait court, se levait du tabouret et ne jouait plus…

« Une seule fois, sa mère l’exigeant (il y avait du monde), elle se plaça devant l’instru-