Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/154

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et son grave bourdon semblait verser, par-dessus la rivière verte et moirée aux piles des ponts, et jusque par-dessus nos têtes, tant l’air ébranlé était pur ! de longs frémissements lumineux. Le feuillage roux des arbres du jardin s’était, par degrés, essuyé du brouillard bleu qui les noie en ces vaporeuses matinées d’octobre, et un joli soleil d’arrière-saison nous chauffait agréablement le dos, dans sa ouate d’or, au docteur et à moi, pendant que nous étions arrêtés à regarder la fameuse panthère noire, qui est morte, l’hiver d’après, comme une jeune fille, de la poitrine. Il y avait çà et là, autour de nous, le public ordinaire du Jardin des Plantes, ce public spécial de gens du peuple, de soldats et de bonnes d’enfants, qui aiment à badauder devant la grille des cages et qui s’amusent beaucoup à jeter des coquilles de noix et des pelures de marrons aux bêtes engourdies ou dormant derrière leurs barreaux. La panthère devant laquelle nous étions, en rôdant, arrivés, était, si vous vous en souvenez, de cette espèce particulière à l’île de Java, le pays du monde où la nature est le plus intense et semble elle-même quelque grande tigresse, inapprivoisable à l’homme, qui le fascine et qui le mord dans toutes les productions de son sol terrible et splendide. À Java, les fleurs ont plus d’éclat et plus de parfum, les fruits plus