Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/169

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« Comme tous les vieux soldats, du reste, qui aiment jusqu’aux enfants des autres, La Pointe-au-corps dut raffoler du sien. Rien d’étonnant à cela. Quand un homme déjà sur l’âge a un enfant, il l’aime mieux que s’il était jeune, car la vanité, qui double tout, double aussi le sentiment paternel. Tous les vieux roquentins que j’ai vus, dans ma vie, avoir tardivement un enfant, adoraient leur progéniture, et ils en étaient comiquement fiers comme d’une action d’éclat. Persuasion de jeunesse, que la nature, qui se moquait d’eux, leur coulait au cœur ! Je ne connais qu’un bonheur plus grisant et une fierté plus drôle : c’est quand, au lieu d’un enfant, un vieillard, d’un coup, en fait deux ! La Pointe-au-corps n’eut pas cet orgueil paternel de deux jumeaux ; mais il est vrai de dire qu’il y avait de quoi tailler deux enfants dans le sien. Sa fille — vous venez de la voir ; vous savez donc si elle a tenu ses promesses ! — était un merveilleux enfant pour la force et la beauté. Le premier soin du vieux prévôt fut de lui chercher un parrain parmi tous ces nobles, qui hantaient perpétuellement sa salle d’armes ; et il choisit, entre tous, le comte d’Avice, le doyen de tous ces batteurs de fer et de pavé, qui, pendant l’émigration, avait été lui-même prévôt à Londres, à plusieurs guinées la leçon. Le comte