Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/216

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« — Docteur, — dit-elle d’une voix haineuse, — ce n’est pas un accident que ma mort, c’est un crime. Serlon aime Eulalie, et elle m’a empoisonnée ! Je ne vous ai pas cru quand vous m’avez dit que cette fille était trop belle pour une femme de chambre. J’ai eu tort. Il aime cette scélérate, cette exécrable fille qui m’a tuée. Il est plus coupable qu’elle, puisqu’il l’aime et qu’il m’a trahie pour elle. Depuis quelques jours, les regards qu’ils se jetaient des deux côtés de mon lit m’ont bien avertie. Et encore plus le goût horrible de cette encre avec laquelle ils m’ont empoisonnée !!… Mais j’ai tout bu, j’ai tout pris, malgré cet affreux goût, parce que j’étais bien aise de mourir ! Ne me parlez pas de contre-poison. Je ne veux d’aucun de vos remèdes. Je veux mourir.

« — Alors, pourquoi m’avez-vous fait venir, madame la comtesse ?…

« — Eh bien ! voici pourquoi, — reprit-elle haletante… — C’est pour vous dire qu’ils m’ont empoisonnée, et pour que vous me donniez votre parole d’honneur de le cacher. Tout ceci va faire un éclat terrible. Il ne le faut pas. Vous êtes mon médecin, et on vous croira, vous, quand vous parlerez de cette méprise qu’ils ont inventée, quand vous direz que même je ne serais pas morte, que j’aurais pu être sauvée, si depuis longtemps ma santé