Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/217

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n’avait été perdue. Voilà ce qu’il faut me jurer, docteur…

« Et comme je ne répondais pas, elle vit ce qui s’élevait en moi. Je pensais qu’elle aimait son mari au point de vouloir le sauver. C’était l’idée qui m’était venue, l’idée naturelle et vulgaire, car il est des femmes tellement pétries pour l’amour et ses abnégations, qu’elles ne rendent pas le coup dont elles meurent. Mais la comtesse de Savigny ne m’avait jamais produit l’effet d’être une de ces femmes-là !

« — Ah ! ce n’est pas ce que vous croyez qui me fait vous demander de me jurer cela, docteur ! Oh ! non ! je hais trop Serlon en ce moment pour ne pas, malgré sa trahison, l’aimer encore… Mais je ne suis pas si lâche que de lui pardonner ! Je m’en irai de cette vie, jalouse de lui, et implacable. Mais il ne s’agit pas de Serlon, docteur, — reprit-elle avec énergie, en me découvrant tout un côté de son caractère que j’avais entrevu, mais que je n’avais pas pénétré dans ce qu’il avait de plus profond. — Il s’agit du comte de Savigny. Je ne veux pas, quand je serai morte, que le comte de Savigny passe pour l’assassin de sa femme. Je ne veux pas qu’on le traîne en cour d’assises, qu’on l’accuse de complicité avec une servante adultère et empoisonneuse ! Je ne veux pas