Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/271

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pas. Depuis dix ans qu’elle était riche et veuve, maîtresse d’elle-même par conséquent, et de bien des choses, elle aurait pu transporter sa vie immobile fort loin de ce trou à nobles, où ses soirées se passaient à jouer le boston et le whist avec de vieilles filles qui avaient vu la Chouannerie, et de vieux chevaliers, héros inconnus, qui avaient délivré Destouches.

« Elle aurait pu, comme lord Byron, parcourir le monde avec une bibliothèque, une cuisine et une volière dans sa voiture, mais elle n’en avait pas eu la moindre envie. Elle était mieux qu’indolente ; elle était indifférente ; aussi indifférente que Marmor de Karkoël quand il jouait au whist. Seulement, Marmor n’était pas indifférent au whist même, et dans sa vie, à elle, il n’y avait point de whist : tout était égal ! C’était une nature stagnante, une espèce de femme-dandy, auraient dit les Anglais. Hors l’épigramme, elle n’existait qu’à l’état de larve élégante. « Elle est de la race des animaux à sang blanc, » répétait son médecin dans le tuyau de l’oreille, croyant l’expliquer par une image, comme on expliquerait une maladie par un symptôme. Quoiqu’elle eût l’air malade, le médecin dépaysé niait la maladie. Était-ce haute discrétion ? ou bien réellement ne la voyait-il pas ? Jamais elle ne se plaignait ni de son corps ni de son âme. Elle