Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/339

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comme il y était entré athée religieux, et ces deux athéismes combinés en avaient fait un négateur carabiné, qui aurait effrayé Voltaire. Il parlait peu, du reste, de ses opinions, excepté dans ces dîners d’hommes qu’il donnait pour fêter son fils, où, se trouvant en famille d’idées, il laissait échapper des lueurs d’opinion qui auraient justifié ce qu’on disait de lui par la ville. Pour les gens religieux et les nobles dont elle était pleine, c’était, en effet, un vieux réprouvé qu’il était impossible de voir et qui s’était fait justice, en n’allant chez personne… Sa vie était très simple. Il ne sortait jamais. Les limites de son jardin et de sa cour étaient pour lui le bout du monde. Assis, l’hiver, sous le grand manteau de la cheminée de sa cuisine, où il avait fait rouler un vaste fauteuil rouge brun de velours d’Utrecht, à larges oreilles, silencieux devant les domestiques qu’il gênait de sa présence, car devant lui ils n’osaient pas parler haut, et ils s’entretenaient à voix basse, comme dans une église ; l’été, il les délivrait de sa présence, et il se tenait dans sa salle à manger, qui était fraîche, lisant les journaux ou quelques bouquins d’une ancienne bibliothèque de moines, achetés par lui à la criée, ou classant des quittances devant un petit secrétaire d’érable, à coins cuivrés, qu’il avait fait descendre là, pour ne pas