Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/404

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soudard ; et je compris, à ce seul mot, la vie intime de ces deux êtres, qui engloutissaient entre eux deux des scènes de toute espèce, et dont, ce jour-là, j’allais avoir un spécimen. Je l’eus, en effet, du fond de mon placard. Je ne les voyais pas, mais je les entendais ; et les entendre, pour moi, c’était les voir. Il y avait leurs gestes dans leurs paroles et dans les intonations de leurs voix, qui montèrent en quelques instants au diapason de toutes les fureurs. Le major insista pour qu’on lui montrât cette lettre sans adresse, et la Pudica, qui l’avait saisie, refusa opiniâtrement de la donner. C’est alors qu’il voulut la prendre de force. J’entendis les froissements et les piétinements d’une lutte entre eux, mais vous devinez bien que le major fut plus fort que sa femme. Il prit donc la lettre et la lut. C’était un rendez-vous d’amour à un homme, et la lettre disait que cet homme avait été heureux et qu’on lui offrait le bonheur encore… Mais cet homme-là n’était pas nommé. Absurdement curieux comme tous les jaloux, le major chercha en vain le nom de l’homme pour qui on le trompait… Et la Pudica fut vengée de cette prise de lettre, arrachée à sa main meurtrie, et peut-être ensanglantée, car elle avait crié pendant la lutte : « Vous me déchirez la main, misérable ! » Ivre de ne rien savoir, défié et moqué