Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/411

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— Un beau cas de chirurgie, — dit le docteur Bleny, — et rare ! »

Mais Mesnilgrand, lancé, passa outre :

« Il était, — reprit-il, — tombé mort sur le corps de sa femme évanouie. Je l’en arrachai, le jetai là, et poussai du pied son cadavre. Au cri que la Pudica avait jeté, à ce cri sorti comme d’une vulve de louve, tant il était sauvage ! et qui me vibrait encore dans les entrailles, une femme de chambre était montée. « Allez chercher le chirurgien du 8e dragons ; il y a ici de la besogne pour lui, ce soir ! » Mais je n’eus pas le temps d’attendre le chirurgien. Tout à coup, un boute-selle furieux sonna, appelant aux armes. C’était l’ennemi qui nous surprenait et qui avait égorgé au couteau, silencieusement, nos sentinelles. Il fallait sauter à cheval. Je jetai un dernier regard sur ce corps superbe et mutilé, immobilement pâle pour la première fois sous les yeux d’un homme. Mais, avant de partir, je ramassai ce pauvre cœur, qui gisait à terre dans la poussière, et avec lequel ils auraient voulu se poignarder et se déchiqueter, et je l’emportai, ce cœur d’un enfant qu’elle avait dit le mien, dans ma ceinture de hussard. »

Ici, le chevalier de Mesnilgrand s’arrêta, dans une émotion qu’ils respectèrent, ces matérialistes et ces ribauds.