Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/44

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ce qu’il allait raconter, quoiqu’il n’y eût personne autour de cette voiture, immobile et comme abandonnée ; soit que ce régulier coup de balai, qui allait et revenait, et qui râclait avec tant d’appesantissement le pavé de la grande cour de l’hôtel, lui semblât un accompagnement importun de son histoire ; — et je l’écoutai, — attentif à sa voix seule, — aux moindres nuances de sa voix, — puisque je ne pouvais voir son visage, dans ce noir compartiment fermé, — et les yeux fixés plus que jamais sur cette fenêtre, au rideau cramoisi, qui brillait toujours de la même fascinante lumière, et dont il allait me parler :

« J’avais donc dix-sept ans ; et je sortais de l’École militaire, — reprit-il. — Nommé sous-lieutenant dans un simple régiment d’infanterie de ligne, qui attendait, avec l’impatience qu’on avait dans ce temps-là, l’ordre de partir pour l’Allemagne, où l’Empereur faisait cette campagne que l’histoire a nommée la campagne de 1813, je n’avais pris que le temps d’embrasser mon vieux père au fond de sa province, avant de rejoindre dans la ville où nous voici, ce soir, le bataillon dont je faisais partie ; car cette mince ville, de quelques milliers d’habitants tout au plus, n’avait en garnison que nos deux premiers bataillons… Les deux autres avaient été répartis dans les bourgades voisines. Vous