Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/58

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Si je l’avais rencontrée dans le monde pour lequel j’étais fait, et que j’aurais dû voir, cette impassibilité m’aurait très certainement piqué au vif… Mais, pour moi, elle n’était pas une fille à qui je puisse faire la cour… même des yeux. Ma position vis-à-vis d’elle, à moi en pension chez ses parents, était délicate, et un rien pouvait la fausser… Elle n’était pas assez près ou assez loin de moi dans la vie pour qu’elle pût m’être quelque chose… et j’eus bientôt répondu naturellement, et sans intention d’aucune sorte, par la plus complète indifférence, à son impassibilité.

« Et cela ne se démentit jamais, ni de son côté ni du mien. Il n’y eut entre nous que la politesse la plus froide, la plus sobre de paroles. Elle n’était pour moi qu’une image qu’à peine je voyais ; et moi, pour elle, qu’est-ce que j’étais ?… À table, — nous ne nous rencontrions jamais que là, — elle regardait plus le bouchon de la carafe ou le sucrier que ma personne… Ce qu’elle y disait, très correct, toujours fort bien dit, mais insignifiant, ne me donnait aucune clé du caractère qu’elle pouvait avoir. Et puis, d’ailleurs, que m’importait ?… J’aurais passé toute ma vie sans songer seulement à regarder dans cette calme et insolente fille, à l’air si déplacé d’Infante… Pour cela, il fallait la circonstance que je m’en vais vous dire, et