Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/69

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

passé que je ne savais pas ?… Le père ou la mère s’étaient-ils doutés de quelque chose ? J’avais Mlle Alberte en face de moi, et je la regardais avec cette intention fixe qui veut être comprise. Il y avait vingt-cinq points d’interrogation dans mes yeux ; mais les siens étaient aussi calmes, aussi muets, aussi indifférents qu’à l’ordinaire. Ils me regardaient comme s’ils ne me voyaient pas. Je n’ai jamais vu regards plus impatientants que ces longs regards tranquilles qui tombaient sur vous comme sur une chose. Je bouillais de curiosité, de contrariété, d’inquiétude, d’un tas de sentiments agités et déçus… et je ne comprenais pas comment cette femme, si sûre d’elle-même qu’on pouvait croire qu’au lieu de nerfs elle eût sous sa peau fine presque autant de muscles que moi, semblât ne pas oser me faire un signe d’intelligence qui m’avertît, — qui me fît penser, — qui me dît, si vite que ce pût être, que nous nous entendions, — que nous étions connivents et complices dans le même mystère, que ce fût de l’amour, que ce ne fût pas même de l’amour !… C’était à se demander si vraiment c’était bien la femme de la main et du pied sous la table, du billet pris et glissé la veille, si naturellement, dans son corsage, devant ses parents, comme si elle y eût glissé une fleur ! Elle en avait tant fait qu’elle