Page:Barbey d'Aurevilly-Les diaboliques (Les six premières)-ed Lemerre-1883.djvu/97

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plus !… Je n’osai plus passer ce seuil noir et béant dans les ténèbres… Je reculai ; je m’enfuis presque avec mon fardeau ! Je rentrai chez moi de plus en plus épouvanté. Je replaçai le corps d’Alberte sur le canapé, et je recommençai, accroupi sur les genoux auprès d’elle, les suppliantes questions : « Que faire ? que devenir ?… » Dans l’écroulement qui se faisait en moi, l’idée insensée et atroce de jeter le corps de cette belle fille, ma maîtresse de six mois ! par la fenêtre, me sillonna l’esprit. Méprisez-moi ! J’ouvris la fenêtre… j’écartai le rideau que vous voyez là… et je regardai dans le trou d’ombre au fond duquel était la rue, car il faisait très sombre cette nuit-là. On ne voyait point le pavé. « On croira à un suicide », pensai-je, — et je repris Alberte, et je la soulevai… Mais voilà qu’un éclair de bon sens croisa la folie ! « D’où se sera-t-elle tuée ? D’où sera-t-elle tombée si on la trouve sous ma fenêtre demain ?… » me demandai-je. L’impossibilité de ce que je voulais faire me souffleta ! J’allai refermer la fenêtre, qui grinça dans son espagnolette. Je retirai le rideau de la fenêtre, plus mort que vif de tous les bruits que je faisais. D’ailleurs, par la fenêtre, — sur l’escalier, — dans le corridor, — partout où je pouvais laisser ou jeter le cadavre, éternellement accusateur, la profanation était inutile.