Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/152

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« Deux heures après, marquise, je la comprenais bien davantage, ou plutôt, moi, je ne me comprenais plus ! Ah ! c’était vraiment par le mouvement que cette femme était reine et reine absolue, Reina netta, comme on dit dans la langue de son pays ! À ce souper étincelant et brûlant, donné pour elle, il fallut la voir et l’entendre !!! D’autres sensations, d’autres sentiments, le bonheur, la possession, et les mille désenchantements qui suivent l’enchantement épuisé, n’ont pu éteindre ce souvenir. D’où cette vie subite lui venait-elle ? Était-ce de la coupe où elle trempait sa lèvre avec une sensualité pleine de flamme ? Était-ce de l’esprit que répandaient alors, par torrents, ces spirituels et effrénés viveurs, excités par la présence de cette Sabran Espagnole ? Qui le savait ? Qui pouvait le dire ? Même moi, qui ai pressé depuis toute cette vie sur mon cœur, je l’ai ignoré, je n’ai jamais su d’où venait cette transfiguration impétueuse, cette ouverture d’ailes, poussées en un clin d’œil, qui la ravissaient, nous emportant tous. Les prestiges de la laideur que M. de Mareuil m’avait promis, apparurent en Mme Annesley. Son regard épais qui ne tombait plus pesamment sur moi, mais qui m’échappait en brillant, fascinait d’impatience par la mobilité de ses feux. Le sang de son père, le toréador, bouillonnait