Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/154

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sachant qu’après tout ce n’était pas là beaucoup plus qu’une courtisane, entraîné par une violence de Sensation que je ne connaissais pas et par une conversation qui stimulait et justifiait bien des audaces, j’osai prendre son verre pour le mien.

« — Vous vous trompez, monsieur ! — dit-elle, en me jetant un regard fixe et cruel ; et elle m’arracha le verre avec une action si fougueuse qu’elle le brisa en le saisissant.

« Ses lèvres entr’ouvertes exprimaient une horreur inexplicable, mais très piquante pour un homme qui, comme moi, marquise, ne manquait pas alors d’une certaine dose de vanité.

« — Ah ! madame, vous vous êtes blessée ? — lui dis-je.

« — Oui, — répondit-elle, tortillant sa serviette autour de sa main, — mais j’aime mieux cela ! — Et elle se prit à sourire avec une ironie méprisante.

« Ma foi ! je n’y tins pas !

« — Et moi aussi, — lui dis-je, — j’aime mieux cela !

« Je mentais. J’avais soif de la trace de ses lèvres que j’eusse retrouvée aux bords du verre dans lequel elle avait bu. Elle m’allumait des sens jusque dans le cœur ! Mais son insolente préférence fit jaillir de mon âme une intensité