Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/158

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ley et que je ne m’occupai plus que d’elle. Une table de jeu fut placée auprès de la table de marbre où le punch flambait dans un vaste bol d’or sculpté. Sir Reginald Annesley et le comte de Mareuil risquèrent des sommes considérables, mais pour la première fois de ma vie, les chances du jeu ne me tentèrent pas. À mes yeux, la fortune n’était plus qu’une femme, une femme qui me haïssait ! L’orgueil était aussi intéressé que le désir à sa défaite. Cela doit rendre un homme éloquent. Je crois l’avoir été, cette nuit-là. Je parlai à Mme Annesley un langage qui sortit sans effort de mon âme combattue, et qui aurait donné à toutes les femmes le double frisson de la fièvre du cœur. Ce fut comme un mélange d’adoration idolâtre et de détestation inouïe, de flatterie caressante et d’impertinence hautaine, d’assurance et de doute, de glace et de feu ; une espèce de bain russe intellectuel et dans lequel je plongeai, pour les assouplir, les nerfs de cette femme, qui ne faiblirent pas une seule fois. Par un changement soudain, comme il s’en produisait très souvent en sa personne, elle était retombée dans ses paresseuses attitudes ; aussi morte qu’elle avait été vivante pendant le souper. Elle m’écouta d’un front impénétrable. Elle avait allumé un cigare et elle le fumait tout en m’écoutant, avec la silencieuse gravité