Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/196

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vis là que sûreté de vous-même, sentiment de votre force et caprice. Plus tard, je crus à votre amour. Mais quand je ne doutai plus de votre passion pour une femme qui, après tout, en avait inspiré plus d’une… je fus heureuse… oui, heureuse ! de vous faire souffrir. « Souffre donc, orgueilleux ! » me disais-je ; « souffre donc par moi et pour moi ! » Cette pensée ne me quittait pas. J’en jouissais au fond de mon âme. Je ne vous fuyais que pour vous faire souffrir davantage, tout en me préservant de vous. Ah ! je voulais rester moi-même ! Je réchauffais ma haine dans mon sein quand ce serpent voulait s’endormir. Je l’exagérais, je la grandissais, pour échapper à l’amour dont j’étais menacée, — que je sentais dans ma haine ! dans ma haine qui ne l’étouffait pas ! qui ne pouvait pas l’étouffer ! Je m’indignais jusqu’à la fureur de cette impuissance. J’agissais toujours de manière à m’attester qu’elle n’existait pas. Voilà pourquoi je suis venue à ce duel dont vous avez été victime. Voilà pourquoi j’ai chargé l’arme qui devait vous blesser ; que j’ai crié : Tue-le, Reginald !… » Il me semblait que cette puissance que vous aviez, et contre laquelle je combattais, je la noierais dans votre sang répandu ; que vous mort, je n’aurais plus personne à craindre. Me suis-je trompée ? J’étais stupide. Quand vous êtes tombé sous la balle,