Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 1.djvu/254

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silencieusement, avec une majesté désolée, vers les coins abaissés des lèvres tremblantes.

« La pitié dont elle me parlait il n’y avait qu’un instant, se saisit de moi à mon tour, et je l’attirai sur mes genoux pour essuyer ses yeux avec mes lèvres.

« Elle ne résista pas plus qu’une morte. Elle avait dans mes bras l’immobilité attentive du sauvage, et ses yeux plongeaient dans mon cœur.

« — C’est du sang aussi que des larmes ! — dit-elle avec une passion surhumaine, forte comme Dieu même, car elle me fit reculer jusque dans ce passé qui ne nous appartient plus et qu’elle ralluma. — Bois donc, Ryno ; bois donc ! bois toujours ! — répéta-t-elle en m’offrant avidement ses yeux et sa bouche. Elle avait raison, la superstitieuse femme qu’elle était ! Les larmes avaient le goût du sang déjà bu… Le charme opérait… Je la pris et je me sauvai dans le salon, l’emportant liée et tordue en spirale autour de moi, comme une couleuvre.

« Une heure après, elle me disait avec la conscience d’une force invincible :

« — Aime-la, si tu veux, Ryno ; aime-les toutes ; renie-moi pour ta maîtresse ; mais le sang, confondu dans nos veines, est plus fort que toi !