Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/172

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passent suavement en ces contemplations oisives, songeuses, idolâtres, dans le rayonnement du foyer ! Non ! rien ne vaut cette tendresse, tapie dans un salon bien clos et chargé des souffles de deux créatures qui se pénètrent par le regard et par tous les effluves de l’haleine, — car la peau respire comme la poitrine, — et qui atteignent le soir, dans ce bain moite d’air humain sorti d’elles-mêmes, et qui les noie dans les langueurs écrasantes d’une asphyxie de volupté !

Marigny et Hermangarde s’absorbèrent en cette vie intérieure, mais ces jours condensés par le silence et la solitude furent bientôt comme les restes épanchés d’une essence qu’on cherche au bord d’un flacon tari. L’atome d’un poison invisible s’imbibait déjà dans ces gouttes huileuses et diamantées du pur nectar cristallisé qu’ils épuisaient sur leurs lèvres. La pensée qu’on ne dit pas, cette petite tache noire dont les plus saines et les plus fortes intimités peuvent mourir, commençait à marbrer de teintes putrides ce bonheur, zeste amer et brûlant du fruit qu’ils avaient dévoré. Cette pensée fixe et pourtant mobile, la présence éternelle de Ryno ne la bannissait pas. Près de lui, Hermangarde la sentait circuler dans ses veines, briller dans ses yeux, mourir sur ses lèvres, faire plusieurs fois le tour de son être, comme le sang chassé