Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/295

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tous deux en silence, lui ne parlant plus, elle écoutant toujours… On n’entendait que le vent qui sifflait par les meurtrières de la roche et le pétillement de la résine qui brûlait… Ryno, à moitié affaissé sur le banc où elle était assise, avait, avec les nonchalances d’une âme lassée, posé sa tête sur les genoux de cette ancienne maîtresse, qui le consolait en l’écoutant. Singulière confidence d’un amour qui n’était pas pour elle ! Elle lui coulait l’extrémité de ses doigts fins le long des tempes, comme si elle eût voulu magnétiser sa douleur. Elle comprenait bien qu’il souffrît, mais elle ne comprenait pas ces deux délicatesses de fierté invincible, qui se plaçaient entre Marigny et sa femme comme un mur de cristal, imperceptible mais résistant. Femme exclusive, qui avait les yeux de l’âme brûlés par l’amour, comme il y a des yeux de chair brûlés par la flamme ; créature obtuse qui n’admettait pas qu’il y eût dans l’âme humaine quelque chose qui dût l’emporter sur l’amour.

Aussi se tenait-elle muette, étonnée, regardant la tête de Ryno sur ses genoux ; les yeux couverts par les franges noires de ses paupières ; cachant dans l’ombre descendante de son front projeté en avant le sourire de je ne sais quel mépris errant à ses lèvres, à ses lèvres labourées par tant de baisers, et sur lesquelles