Page:Barbey d'Aurevilly - Une vieille maitresse, tome 2.djvu/303

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plus un mystère et chez qui il rentrait la nuit, marqué de sang, comme un blessé ou comme un assassin ?… En vain voulut-elle regarder dans ses cheveux et s’attester que la blessure dont il parlait était fermée, il ne le permit point. Il en plaisanta avec légèreté, et elle, pour qui les moindres circonstances avaient des significations cruelles et qui craignait surtout de faire une indiscrétion de sa pitié, n’insista pas, et se calma comme elle put en le regardant. Rentrée dans la solitude de son âme, elle ne connaissait plus, depuis quelque temps, que les excentricités de la vie de son mari, naguères encore si partagée. Elle savait qu’à côté de cette vie écoulée près d’elle, il y en avait une autre pour lui par delà ces murs qui les abritaient, sur cette côte trompeuse qu’elle avait cru longtemps une terre amie, où elle avait planté six mois d’un bonheur incomparable, mais qui était mort là, sur pied, comme il serait mort à Paris. Tout ce qu’elle avait entrevu, tout ce qu’elle avait surpris de cette existence à part d’elle, et du jour où le premier doute sur la fidélité de Ryno lui avait mordu le cœur, avait un vague, un inconnu qui asservissait son imagination terrifiée à l’affreuse idée que Ryno était infidèle.

Hélas ! chaque jour, il l’était davantage. Et, chose horrible, mais vraie, et qui doit peut-