Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/103

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pour dépister les espions armés et acharnés, qui, tapis sous chaque dune, aplatis dans le creux des falaises, couchés à plat ventre au fond des anses, le long de ces côtes dentelées de criques, cernaient la mer de toutes parts et faisaient coucher à fleur de sol des baïonnettes et des canons de fusil qui ne demandaient qu’à se lever ! Plus il allait, ce chevalier Des Touches, traqué sur mer par des bricks, traqué sur terre par des soldats et des gendarmes, plus il allait, cet homme qui caressait le danger comme une femme caresse sa chimère, ce rude joueur qui jouait son va-tout à chaque partie, et qui gagnait, plus il était obligé cependant, malgré son impassible audace, d’user de précautions et d’adresse ; car le bonheur inouï de ses passages avait exaspéré l’observation de ses ennemis, pour lesquels il était devenu l’homme de son nom, la Guêpe ! la guêpe, insaisissable et affolante, l’ennemi invisible, le plus provoquant et le plus moqueur des ennemis ! Il ne faisait plus l’effet d’un homme en chair et en os, mais, comme je l’ai souvent ouï dire aux gens de mer de ces rivages, « d’une vapeur, d’un farfadet ! » Il y avait entre les Bleus et lui, et les Bleus, ne l’oubliez pas, c’était tout le pays organisé contre nous, groupes de partisans éparpillés à sa surface, qui ne nous rattachions les uns aux