Page:Barbey d’Aurevilly – Le Chevalier Des Touches, 1879.djvu/123

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cause, une cause qui représentait l’honneur, la religion, la royauté, cette triple fortune de la France, et qui pour elle s’exposaient journellement à mourir. Nous avions pour ces Douze l’intérêt véhément qu’on se porte entre gens de même parti et de même drapeau ; mais enfin nos cœurs n’étaient pas pris comme celui d’Aimée et le coup de fusil d’un Bleu ne pouvait pas y atteindre à travers un autre cœur ! Nous nous préoccupions sans doute de l’événement qui devait se produire à Avranches, nous en attendions l’issue avec anxiété, moi, surtout, dont le sang a toujours été turbulent dans mes grosses veines, quand il s’est agi de coups à donner et à recevoir !

Mais ce n’étaient pas là, ce ne pouvaient pas être les transes d’Aimée. Elle ne les disait pas. Elle engloutissait ses tortures dans ce cœur qui a tout englouti ; mais je les devinais à la fièvre de ses mains brûlantes, au feu sec de ses regards. Une fois, pendant ces jours d’alarme où nous vivions dans l’ignorance et l’incertitude sur le destin de nos amis, je fus obligée de lui arracher son feston, car elle coupait avec ses ciseaux dans la chair de ses doigts, croyant couper autour de sa broderie, et le sang coulait sur ses genoux sans qu’elle sentît, dans sa préoccupation hagarde, qu’elle se massacrait ses belles mains ! Je finis par ne plus la quitter.